Un grand merci à l’ami Pascal Phan pour ses couleurs !
Parlons des médias initiaux, les deux piliers involontaires du projet :
« Les Rues de Lyon » est une heureuse initiative de l’association lyonnaise l’Épicerie Séquentielle, consistant à proposer chaque mois à la vente une bédé de 10 pages, élaborée chaque fois avec talent par un.e auteur.e différent.e sur une rue, un pont, un endroit, une anecdote, pleins d’anecdotes, caractéristiques dans leur histoire ou leur géographie de cette ville magnifique, au patrimoine terriblement épais, qu’est la Capitale des Gaules. Pas chère, bien diffusée et bénéficiant d’une équipe de qualité sur tous les points de sa conception, la revue les Rues de Lyon est devenu au fil des numéros se succédant, le plus graphique et culturel soulignant les nombreux aspects typiques d’une ville au charme immense, et qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets.
Streets of Rage est un jeu de baston à progression culte de SEGA sorti sur la Megadrive en 91. Si le machin a vieilli et fait figure de brouillon face à LE chef d’œuvre vidéoludique qu’est son petit frère Streets of Rage 2, certains de ses aspects possèdent une puissance évocatrice folle encore aujourd’hui, tels sa bande-son, (ayant propulsé son compositeur Yuzo Koshiro au rang de megastar interplanétaire encore adulé aujourd’hui par des cohortes de fans en transe dont je fais partie) son ambiance urbaine nocturne magistralement bien retranscrite (jusqu’au lever de Soleil au fur et à mesure de la progression dans le dernier stage, superbe moment) et son… scénario, qui si indigent qu’il soit, est caractéristique d’une époque où les flims de justiciers aux méthodes extrêmes occupent encore une place enviable dans le paysage cinématographique (en attendant de trôner pour la plupart sur l’autel que leur a dressée l’équipe bénie des dieuxxes de Nanarland ). Concernant le côté « vigilante » du jeu (A-t’il emprunté son ambiance nocturne au génial Dirty Harry ? M’en rappelle plus…) je ne peux que vous conseiller la lecture des numéro 3 et 4 de la revue Pix’nLove dédiée à la saga Streets of Rage, tant l’approche de cette équipe de passionnés sur le sujet est nouvelle, dense et instructive, et j’y reviendrai plus tard…
Et donc ? qu’est-ce qui uni ces deux médias honorables avec mon univers ?
Rien avant 2015, puis, surgie du néant, s’érige In-City :
Et là, alors que je croule sous les planches de mes histoires-non-finies-mais-que-je-veux-mener-à-leur-terme-un-jour, se monte dans ma tête un projet aussi inéluctable que bancal: Faire une bande dessinée dans l’esprit des Rues de Lyon, avec une pagination et une approche similaire, où le sujet de fond abordé serait un faux, un prétexte, faisant converger tout l’intérêt et le sérieux de l’entreprise vers une histoire purement fantaisiste avec malgré tout en but, comme souvent même dans mes bédés les plus débiles, d’authentiques préoccupations personnelles sur la réalité.
Ainsi nait « The Streets of Lyon », chimère parodique à trois têtes composée :
-D’une base Street of Rage, avec son trio de justiciers expéditifs que l’on retrouve dans le stage final de leur nuit mouvementée à péter les crânes de tout ce qui se dresse devant eux sans distinction, un périple qui les emmènera en ce lieu canonique du genre Beat’em All : La grande tour d’ivoire en haut de laquelle trône le Boss Final.
-D’une tour d’ivoire donc, et quelle meilleure actrice pour cela que la tour In-City, s’élevant jusqu’à 200 mètres dans le ciel lyonnais depuis fin 2015 ? C’est bien l’existence nouvelle de ce grand pavé d’acier et de verre ( surnommé la Gomme parait-il…) qui est à l’origine de mon projet (le Crayon, véritable gratte-ciel emblématique de la ville, étant lui déjà trop chargé historiquement à mon sens) . Comme indiqué plus haut l’édifice date de 2015, impossible d’évoquer décemment une quelconque notion de patrimoine dans mon entreprise dessinée, le lien avec la revue les Rues de Lyon s’en tiendra donc autant à l’hommage qu’à la parodie.
-D’un ancrage revendicatif avec la réalité, ce pourquoi en guise de boss final à détruire, mes protagonistes s’en vont défoncer leur gueule à des cadres de chez Monsanto et Total. Et à ce propos, Explications :
Étant créateur et grand amateur de fictions depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été fasciné et amusé par l’un de ses rouages premiers : Les Méchants.
Je ne sais plus qui a dit un truc du genre : « Dieu a crée les aliments, le Diable l’assaisonnement ». C’est à peu près pareil pour la Fiction au sens large et les principaux ingrédients qui en relèvent le goût.
Rares et souvent d’une qualité assez unique sont les fictions qui se passent de l’évidence de placer des gens en opposition à la base de tout récit, avec le synthétisme-roi de ce constat de départ que sont… les Gentils et les Méchants.
Michel Fugain & Le Big Bazar : « Les Gentils Les Méchants »
(Ah La la qu’est-ce que j’aime cette chanson)
Or à l’instar de Michel Fugain on est quand même en droit de se poser la question : Qu’est-ce qu’une ânerie aussi biaisée et colossale que le concept des gentils et des méchants a à voir avec une représentation un peu sérieuse de la Réalité ? Sans m’étendre dessus, on peut facilement trouver, des médias jeunesse à adulte, des exemples du meilleur comme du pire sur le sujet.
Je l’évoquais plus haut, cet espace de réflexion a été emprunté par l’équipe de Pix’n Love quand ils se sont penchés sur Streets of Rage et l’ensemble des Beat’em All durant l’âge d’or du genre, au milieu des années 90. Et le constat est aussi amusant que cinglant : Si on regarde les différentes incarnations des ennemis sur lesquels on va taper tout au long des stages, il s’agit d’une écrasante majorité de punks, putes, zonards, junkies, sales gueules en tout genre vomis de bas-fonds urbains anonymes ; autrement dit tous les marginaux, les pauvres, les laissés-pour-compte, les oubliés d’un système qui se passerait bien de l’émergence de ces enfants turbulents sur le devant de la scène… Et heureusement, vu que c’est forcément pour de mauvaises raisons que cette sinistre plèbe arrive en ville, on va s’en donner à cœur joie pour remettre tout ce petit monde à sa place à coup de german supplex et autres jouissives manipulations du joypad ! Il faut dire que le jeu vidéo de l’époque se nourrie largement du grand frère cinéma, du genre Vigilante avec la série des Death Wish (la série du « Justicier » en vf avec Charles Bronson, dont la chronique savoureuse du troisième opus est visible ici , gloire éternelle à Nanarland ) au genre Martial avec un Jean-Claude Van Damme au firmament.
Du reste, il est intéressant de noter à la décharge de Streets of Rage que l’opposition justicier/junkie de début de jeu s’estompe un peu au fur et à mesure que l’on progresse dans la partie ; car au final qui tire les ficelles de tout ce chaos urbain ? Un riche bien sûr ! Un notable cravaté trônant dans une tour d’ivoire ! De fait, et c’est plus visible dans des opus de fin de règne beat’em all tel Streets of Rage 3, plus on avance dans le jeu, plus les masques tombent, plus le pouvoir et le luxe deviennent visibles, les ennemis troquent la coupe iroquois pour un costard et une oreillette, les rues moisies le cèdent à des couloirs dignes des institutions les plus pérennes, le beat ’em all ne finit pas en flic versus manifestant, ouf je peux jouer à mes jeux favoris sans arrière-pensées ! (à ce propos, je ne puis que conseiller le visionnage de They Live, Invasion Los Angeles en VF, de John Carpenter, pour une redistribution des cartes des plus salvatrices quant aux dualités oppresseurs/opprimés.)
Pour finir, à l’heure où Streets of Rage 4 pointe le bout de son nez, semblant largement tenir ses promesses à tous les niveaux, notamment dans la « philosophie de jeu », ajouter à mes boss de fin de jeu l’étiquette de membres de structures inspirés de consortium géant réels n’avance pas vraiment la réflexion débutée il y a presque 30 ans, mais ce fut une source de grande satisfaction, presque de frustation : Car si du point de vue de notre réalité, ces entreprises doivent sûrement rester relativement sereines (malgré quelques emballements médiatiques, atermoiements récurrents et autres gouttes d’eau dans l’océan, conséquence de procès et de scandales divers…), d’un point de vue purement imaginaire, pourquoi si peu de fictions musclées bonnes ou mauvaises n’en font pas leurs méchants ultimes ? Pourquoi si peu de considération populaire pour des groupes qui font tout pour inspirer ce qui se rapproche le plus du mal voire du mauvais dans la réalité vraie ? Ces consortiums en ont tellement l’étoffe ! Las, de ma culture clairsemée je ne connais guère que l’immense John Le Carré pour prétendre à la fois à une place dans la culture mainstream et à un intérêt pour ce genre d’antagonistes. Et dans un registre plus confidentiel, l’excellente bande dessinée « L’argent Fou de la Françafrique » qui s’est penchée lors de son récit sur les intérêts de Total en Afrique, dont on a une idée ici.
En attendant, s’il vous arrive de trouver au gré de vos lectures, ou de vos expériences vidéo-ludiques des médias dont le message semble être « Chouette, dans le doute, allons péter la gueule aux boss inter-changeables de Monsantotal&Cie ! » N’hésitez pas à m’en faire part, je me sentirai moins seul !
Formidabeule !
Bravo l’ami pour ces belles blanches au dessin dynamique et riches en philosophie Petrussesque.
Bientôt « Streets of Roanne », le film ?
Bientôt non, vu le temps monstrueux que j’ai mis pour pondre ces quelques planches… Mais un jour peut-être oui !